25 juil. 2014

FRAGMENT 25/07/2014

   Ce territoire était une vaste étendue de verdure qui était coupée par du béton et par un épais macadam. Aujourd'hui encore, Fernand se sent orphelin de cette contrée à chaque fois que ses yeux se posent sur ces photos jaunies par la poussière du temps. Une période de sa jeunesse où l'on se reposait sur l'herbe afin d'en aspirer la senteur verdâtre. 
   Naguère, il ne comptait point les heures passées dans un autre monde jusqu'à ce que son paternel ne poussât un cri depuis le balcon afin de le ramener à la réalité. Un cri dont le son élevé eût assurément déplumé un poussin en mal d'affection. "Alors, on rêvasse sur l'herbe, complètement avachi ?" hurla son géniteur. Qu'importe. Dès cet âge, Fernand avait pris l'habitude de contempler un ballon de beaujolais pour admirer la robe légère de cet étrange breuvage qu'il aspirait une fois que son paternel colérique eût tourné le dos. L'infortuné appris par la suite que ce Beaujolais n'était qu'un vulgaire vin de table qui, à défaut de caresser ses papilles, provoquait une lourdeur sur le haut du crâne. 
   Les arbres n'y sont plus. Ils étaient la richesse de ce territoire. C'était l'époque où le jeune Fernand contemplait cet homme étrange qui errait à travers la ville. Il était vêtu d'un veston et d'un chapeau noirs. Une écharpe jaune entourait sa gorge. Il devait porter une cinquantaine d'années sur ses épaules. Il était bien rasé, contrairement à certains hommes, aujourd'hui, qui arboraient une paille grisâtre autour des lèvres. Cet homme marchait lentement. Il semblait prendre son temps. Sans doute un adepte de la patience et du bon sens. Son visage taciturne se perdait dans les nuages. Il regardait Fernand sans jamais lui adresser la parole. Il venait ici chaque jour, contemplant les arbres avec son meilleur allié, le silence. 
   Fernand perdit de vue l'homme par la suite. Vingt ans plus tard, il le revit dans une brasserie. Quelques rides ornaient son visage mais sa silhouette était restée la même. Il but un café, régla l'addition et quitta l'établissement. Le regard des deux hommes se croisa. Le vieil homme lui dit "Au revoir, jeune homme". Fernand lui rendit la politesse. Un homme qu'il venait de revoir et dont son salut était une forme d'adieu. En ce dernier dimanche d'été, le visage de Fernant devint taciturne et se perdit dans les nuages.

15 juil. 2014

FRAGMENT 15/07/2014

   Je ne suis qu'un vieux fou qui écoute les peupliers intègres. Je vous entends. Vous criez votre indignation mais vous fermez vos paupières sur ce qui se passe de ce côté-ci de la terre. Par ici, le sol est recouvert de fluide rouge mais on ne s'en offusque point. L'indignation est bien devenue sélective. Elle ne rugit que lorsqu'elle se sent concernée. Par ici un enfant tué. Un homme tué. Une femme tuée. Un nouveau-né ensanglanté. On s'offusque, on hurle sa colère, on accuse le monde d'indifférence. Dans d'autres contrées on tue bien. On passe de vie à trépas. On égorge. On déflore. On pend. On lapide. On laisse traîner des corps sans vie et pourtant, le silence. Le sang coule bien sur Terre mais mes semblables ont décidé de ne regarder que ce qui les touche. On ne pleure que lorsque ce sont ceux que l'on nomme "siens" qui sont fauchés. Sombre humanité ! Tu peux bien tuer de ce côté-ci. Tu peux contraindre autrui au nom de vieilles traditions mais tu n'auras que du silence. Ils ont choisi de s'offusquer de ce qui se passe là-bàs. Par ici, que du silence. Un silence qui habille la nuit obscure. Laissez-moi donc avec votre indignation partielle. Je ne suis qu'un vieux fou qui contemple de sages peupliers.